Des champions à n’importe quel prix ?
La dimension de l’entraînement
Tout d’abord, il est incontestable que les résultats à l’international du badminton français ont progressé ces trois dernières années et à commencer chez les jeunes. Cela étant dit, les résultats et la progression des joueurs français vont-ils perdurer ?
« Le projet sportif de la FFBaD a positionné la performance comme l’une des composantes essentielles de son rayonnement et de sa maturité. Cette recherche de performance vise à s’inscrire dans la pérennité. »
Cette citation tirée du Projet de Performance Senior 2014/2015 de la FFBAD1 est intéressante pour ce Dossier BAD, car elle permet de faire le lien évident entre la pérennité de la performance individuelle, collective ou intergénérationnelle, et la prophylaxie, la santé psychologique et physique ou encore le bien-être global des joueurs. «La pérennité » dont il est question dans ce document doit viser, à mon sens, deux objectifs : à la fois former une « relève » de qualité au moins équivalente mais aussi augmenter la longévité de nos champions. Partant de ce postulat, il convient de s’interroger sur plusieurs points. Est-ce qu’aujourd’hui, l’intégrité physique est une composante essentielle de la performance ? Est-ce qu’actuellement, la santé physiologique, neurologique ou encore les marqueurs de la dégénérescence, ainsi que les traumatologies sont des éléments incontournables de la planification, de la programmation, de l’alimentation, des supplémentations et de la veille scientifique ? Finalement, est ce que nos champions d’aujourd’hui peuvent encore progresser et durer, et au-delà, se préparent-ils une belle vieillesse ? Ces questions paraissent plus que légitimes ! Toutes sont indissociables de connaissances et d’investigations perpétuelles dans des domaines clés que sont la préparation physique, la biologie, la neurobiologie, la nutrition, la posturologie pour ne citer qu’elles. Ce Dossier BAD traite de l’intégrité physique de nos champions. Il est le premier d’une série de Dossiers BAD sur ces thèmes. Ils sont le fruit d’investigations guidées par le questionnement des pratiques vécues, observées et partagées. L’unique leitmotiv restant implacablement la recherche de performance dans le respect de l’intégrité physique.
La performance est-elle dissociable de l’intégrité physique ?
Il convient de mettre les choses au clair à ce sujet. La blessure, les troubles de la posture ou encore les maladies annuelles chroniques ne sont pas une fatalité… Ces phénomènes ne sont pas non plus irréversibles ! L’équipe du projet de performance doit TOUT mettre en œuvre pour préserver l’intégrité physique des joueurs. De plus, si des prédominances génétiques peuvent effectivement faire basculer plus ou moins certains sportifs du mauvais côté, celles-ci non plus ne sont pas incontrôlables. Ces notions doivent être assimilées et toujours apparaître en toile de fond dans l’esprit d’un entraîneur. Dès lors, le respect de l’intégrité physique devient indissociable de la recherche de performance. Il faut même aller plus loin, l’accès à la performance dépend en grande partie de la préservation de l’intégrité physique. Pour s’en convaincre, il suffit de se demander si un joueur blessé est performant… ou s’il ne perd pas un temps et une énergie précieuse à récupérer de sa blessure lorsqu’il pourrait continuer son chemin vers la performance. De même, une hypercyphose thoracique par exemple (au-delà des risques de pathologies au niveau de la ceinture scapulaire), traduira une hypo-utilisation des muscles freinateurs lors du smash, ce qui aura comme conséquence la limitation de la puissance de frappe régulée par les organes tendineux de Golgi. Enfin, un joueur dont la planification et la programmation n’auront pas été pertinentes pourrait voir son niveau de performance stagné voir régressé. Pire, il pourrait être en proie aux surmenages voir au surentrainement. Il deviendrait une cible facile pour toutes sortes de maladies, son système immunitaire étant moins performant… Nous voyons grâce à ces exemples que la méconnaissance ou l’indifférence face à des problèmes touchant l’intégrité physique du joueur débouche sur une réduction de la performance. Il est donc indispensable de se soucier à chaque instant de l’intégrité physique des joueurs. En effet, préserver l’intégrité physique, c’est se positionner de manière éthique. Si l’on peut légitimement s’interroger sur la question de l’éthique dans le sport, rien n’empêche un entraîneur de rester le gardien de la sienne. Enfin, si l’on sort de la performance individuelle, est-il besoin de rappeler qu’un sportif blessé et usé aura du mal à tirer les jeunes vers le haut, bref à assurer une certaine « pérennité » de sa performance ainsi que de celle des futures générations.
Est-ce qu’aujourd’hui, l’intégrité physique est une composante essentielle de la performance ?
La notion d’intégrité physique étant très vaste, le choix a été fait de réaliser une analyse sporadique qui ne sera pas pour autant dans l’incapacité de mettre en lumières certains phénomènes.
Pour répondre à cette question, il faut analyser plusieurs dimensions de la performance et se demander si à l’heure actuelle, elles sont traitées de manière à préserver l’intégrité physique des joueurs.
La dimension de l’entraînement :
L’intégrité physique de nos champions est-elle au cœur des problématiques d’entraînement et de recherche de performance ? Quiconque ayant observé nos champions en salle de musculation est spontanément en proie à cette question. Malheureusement, peu ont cette chance. C’est pourquoi il convient de présenter ici des données issues de 6 années d’expérience puis de 3 années d’observations et d’échanges. Voici le programme/séance de musculation de nos champions durant ces 9 dernières années :
- Pas d’échauffement ou 5min de vélo ou 5min de rameur.
- 6*10 répétitions en développé couché entre 40kg et 60kg.
- 6*10 répétitions en développé incliné debout avec sauts (20 à 30kg).
- 6*10 répétitions en extension de bras (triceps : 20 à 30kg).
- 6*10 répétitions en curls (biceps : 20 à 30kg).
- 6* « jusqu’à ce que ça brûle » en flexion du poignet avec barre sur les genoux (20 à 30kg).
- 6*10 répétitions en quart/demi squat (60 à 100kg environ).
- 6*20 rebonds pliométriques avec barre sur les épaules (20 à 30kg)
- Cette séance est dispensée lorsqu’il n’y a pas de compétition dans la semaine. Lorsqu’il y a une compétition, la séance est la même bien que le nombre de séries soit réduit à 4 pour chaque exercice.
Cette méthode d’entraînement ne préserve évidemment pas l’intégrité physique de nos champions pour plusieurs raisons.
Lesquelles ?
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- Pas de mise en tension des capsules articulaires ni de travail de la mobilité articulaire en début de séance.
- Les joueurs travaillent toute la saison sur le même « registre » à savoir une hypertrophie à mi-chemin entre l’hypertrophie fonctionnelle et l’hypertrophie traditionnelle. Si ce mode pourrait éventuellement être intéressant dans certains cas (début en musculation, reprise, problématiques morphologiques…), nul n’ignore l’importance de l’explosivité en badminton par rapport à la prise de masse sèche… !
- Les deux premiers exercices ciblent les pectoraux et les deltoïdes antérieurs pour zéro ciblant les muscles du haut du dos (rhomboïdes, trapèzes inférieur, moyen, supérieur, grands ronds, deltoïdes postérieurs…). Cette erreur peut provoquer une hypercyphose thoracique, un enroulement des épaules et une bascule avant de l’épaule2 (voir Dossier BAD n°3 Pompes et badminton : arrêtez le massacre, Dossier BAD n°4 Comment le joueur de badminton smashe-t-il ?). Les conséquences à court, moyen et long termes peuvent être des pathologies au niveau de la ceinture scapulaire et vertébral, de l’arthrose précoce, une perte de mobilité et une limitation de la progression du niveau de performance.
- Au-delà du fait que les squats sont réalisés sans la moindre connaissance technique ni correction, les ischios-jambiers ne sont pas travaillés en complément ce qui peut entraîner un déséquilibre de forces sur l’articulation du genou entraînant des risques de blessures graves (entorses, ruptures de ligaments, tendinopathies…).
La charge sur les épaules ajoute des traumatismes aux rebonds pliométriques sur la colonne vertébrale (avec des positions imparfaites) ainsi que sur l’articulation du genou et le tendon d’Achille. Le nombre de répétitions trop élevé lèse ces structures d’autant plus qu’une progression cohérente et construite n’a pas été planifiée pour que celle-ci soit en mesure de subir ces exercices en espérant un quelconque gain sur la performance.
Néanmoins, l’époque de cette séance est quasi révolue. Depuis quelques mois, celle-ci a fait place au circuit training. Les filles font par exemple des pompes sautées, c’est-à-dire de la pliométrie sur les membres supérieurs pendant 30 secondes (mains sur un tapis). Le travail de pliométrie exige des pré-requis d’autant plus durs à avoir sur les membres supérieurs, qui plus est chez des joueuses. Les traumatismes de cette pratique sont énormes et il s’ajoute l’absence d’un travail de même type sur les antagonistes. Les abdominaux quant à eux sont travaillés en raccourcissement avec le bassin en total rétroversion provoquant une hyperpression abdominale (voir Dossier BAD n°6 et n°9 sur les abdominaux) et des forces de pression sur les disques intervertébraux (risques d’hernies discales). De plus, différents exercices « globaux » sont proposés sans tenir compte de l’équilibre indispensable entre les différentes chaînes antérieures, postérieures, des bras, croisées ou en spirales. Alors que l’équilibre des chaînes a une importance prophylactique et rappelons-le : la performance sur des mouvements globaux (comme ceux que produit un joueur de badminton) est fonction de l’écart entre les chaînes fortes et les chaînes faibles « antagonistes ». Certains exercices balistiques en rotation proposés semblent intéressants et poussent à l’investigation. Mais le non-respect de la règle de l’équilibre des chaînes en annihile les espoirs de gains significatifs.
Dans ce Dossier BAD, la planification aurait pu être abordée si une preuve de son existence durant ces 9 dernières années avait été fournie ou n’aurait ne serait-ce que transparue dans une logique construite et cohérente de programmation hebdomadaire des entraînements. C’est pourtant un élément reconnu depuis de nombreuses années par les professionnels de l’entraînement comme étant indispensable et essentiel dans la recherche et la « pérennité » de la performance.
Conclusion
Le respect de l’intégrité physique fait partie intégrante de la recherche de performance. La dimension de l’entraînement et en particulier des entraînements en lien fort avec la préparation physique ont été brièvement illustrés ci-dessus. Un florilège d’exemples de méthodologie de l’entraînement sur des multi-volants, des temps de travail en attaque-défense, 2 contre 1 fixés sans justification et objectif répondant à une réelle réflexion logique basée sur des connaissances actualisées, aurait pu être exposé ici. Pourquoi l’entraînement du joueur de badminton fait-il toujours l’économie d’un apport de connaissances en dépit des gains incroyables et manifestent vers lesquels d’autres sports se ruent ? Ne serait-il pas temps qu’un regard éclairé sur la préparation physique soit enfin dispensé par de vrais professionnels de la préparation physique en relation étroite avec l’entraineur pour une recherche de la performance dans le respect de l’intégrité physique ?
Bon entraînement intelligent à tous !
1 Mis en ligne sur le site à la mi-2015 pour un positionnement sur les Olympiades 2012/2016 et 2017/2020.
2 Tous les joueurs de simple de l’INSEP ont plus ou moins l’un de ces troubles de la posture.
Maxime Michel
DESJEPS Badminton
Préparateur physique
Philippe Michel
Professeur Agrégé EPS
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